samedi 26 mars 2016

Le musée JJ Rousseau est en danger.

Il est des causes perdues. L'impavidité de l'inculture en est une. L'éternelle course alimentaire aux budgets électoralistes en est une autre. La glorification de l'ignorance, aussi. 
Il fut un temps où les causes perdues s'incarnaient dans des idées, des notions, des concepts de nos jours banalisés à l'aune de nos acquis, mais jadis utopies édéniques dont l'idéalisation extrême, parce qu'il n'est point de paradis terrestre, constituait un puissant moteur de développement intellectuel. C'était ce temps des Lumières, notre Aufklärung du XVIIIe siècle, porté déjà par les voix humanistes de la Renaissance. C'était le temps de Voltaire et Diderot, d'Alembert et Rousseau. 
Par des matins et des soirs de 1789, on tenta, sans doute en commettant quelques maladresses, de tracer une voie nouvelle, en s'appuyant sur les essais et les discours de Montesquieu, Rousseau, ... Danton, Robespierre, Desmoulins, Mirabeau.... Litanie désuète que nos dictionnaires d'idées reçues véhiculent sans en entendre le rire flaubertien ou rabelaisien c'est selon: Danton... quoi? Robespierre le Staline du XVIIIe, Desmoulins... qui c'est?, Mirabeau... j'ai marché sur le pont, et je n'y ai point vu couler la Seine et nos amours... Et pourtant, l'esprit français, cette exception qu'on se plaît à brandir comme un slogan, comme une marque déposée, prit corps dans l'histoire grâce à l'abnégation politique et philosophique de ces esprits qui voguent auprès d'un Marius, d'un Brutus, d'un César, d'un Auguste. Et notre histoire le leur rend mal.
Que n'entendons-nous sur les ondes tempétueuses du conservatisme et de la réaction! Le roman national! La culture française! L'identité nationale! Et quelle affliction de l'intelligence lorsqu'on découvre des arguments falsifiés par les prévaricateurs de l'histoire, les marchands du Temple populistes: rejet de la Révolution de 1789, au nom des théories les plus farfelues. Non, les plus teintées de la puanteur obscurantiste. A supposer qu'existât un concept aussi fallacieux et casuiste qu'un "roman national" (qu'est-ce sinon de la propagande?), ce roman-là c'est le produit, pour le cas qui nous occupe dans cette tribune, du siècle des Lumières. Tolérance, démocratie, liberté, égalité, fraternité, République, laïcité. Ce sont aujourd'hui des "gros mots"; ou des mots que l'on a vidé comme on le fait des proies après la chasse pour les empailler. Notre pensée en tant que peuple s'affranchit, O tempora, O mores! de la raison critique dont l'honneur rejaillissait autrefois depuis les textes de Montaigne, Descartes et bien entendu Rousseau. Les taxidermistes de la culture font avaler leur huile de mauvaise foi emmurée dans des attitudes passéistes qui voudraient faire croire que l’Éducation Nationale, par exemple, enfermerait nos chères têtes étrangement toujours blondes pour ces escrocs, dans une propagande marxiste leur faisant oublier le glorieux passé du pays; « haro sur les enseignants! » « Ils ne parlent plus de notre histoire véritable! » « En revanche, quand vous referez les programmes, insistez moins sur le XVIIIe et ses bouffeurs de curés, nous sommes la fille aînée de l’Église après tout ! ». Hélas, ce vœu s'exauce, paradoxalement: au sein même des antres fétides des pédagogues se tapit une autre aberration, celle de l'uniformisation par le bas. Le simplisme historique et littéraire est devenu la norme. 
Quel triste tableau ! Voilà le vrai "déclinisme": La réaction est rattrapée par ceux-là qui devraient être les chantres de la lumière culturelle. On oublie d'un côté, on réduit de l'autre. Vieille blague du temps de Brejnev: "bonjour, je voudrais du lait. Ah non, ici on n'a plus de viande, c'est en face qu'il n'y a plus de lait". 
Il est du devoir de chacun de préserver ce qui constitue le phare d'une civilisation, ce qui fait sa seule identité, au-delà des bassesses politiciennes: la culture. Un peuple sans culture est un peuple qui meurt. Et la culture ce n'est pas le nationalisme et encore moins le "multiculturalisme", concept aussi étrange que mortifère dans son acception habituelle, forcément politique. C'est l'équilibre entre la mémoire et le savoir, entre l'histoire et la vérité, entre l'objectivité froide et la fierté; oublier cette évidence c'est se réfugier dans deux écueils qui s'offrent aujourd'hui en spectacle, le conservatisme et l'hypocrisie. Les kapos de l'anti-histoire et les thuriféraires de l'aveuglement remplissent les colonnes médiatiques, et tout comme la jalousie shakespearienne était un monstre aux yeux verts qui se nourrissait de son propre venin, les deux extrémités, négationnisme et angélisme en viennent à crée par leur mutuelle annihilation une nouvelle « bête immonde », la même que celle fustigée par Voltaire. Une chape de ténèbres, jadis un rideau de fer, s'abat sur l'Europe et sur notre pays, et cette noirceur c'est celle de l'obscurantisme. 
Pour réaliser le bon équilibre, il faut une certaine dose de stoïcisme: l'orgueil d'une posture viendrait trop vite fragiliser ce château de cartes si l'on n'y ajoutait pas l'affirmation du doute. Descartes doutait. Einstein aussi! La seule chose que l'on sait, c'est que l'on ne sait rien, à moins de se rêver une destinée de père-la-morale, ou une carrière d'homme providentiel-dictateur (notre histoire n'en manque pas!). 
Mais il est une certitude: ce n'est pas en fermant des lieux d'histoire et de littérature qu'on progressera. 

En la ville de Montmorency, il est une maisonnette. Oh, vous la visiteriez bien vite, on en fait vite le tour. Un jardin, quelques arbres, et deux pièces reliées par un étroit escalier. Un certain Jean-Jacques Rousseau y vécut et y rédigea certaines de ses plus grandes œuvres. Une pièce attenante conserve des trésors surgis de son temps : tableaux, manuscrits, objets... Une réserve de textes et d'ouvrages parachève la conservation de l’œuvre de ce génie. Oui, il est important de rappeler que le relativisme, fléau de notre temps, doit être combattu. Certains esprits s'élèvent au-dessus des autres, et Rousseau fut un génie universel. Ses œuvres égrènent le chapelet de la littérature et de la pensée supérieures : Emile, La Nouvelle Héloïse, Du contrat social, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Les Rêveries du promeneur solitaire, Les Confessions... 
J'écris au nom des membres d'un prix littéraire créé en 2010, le prix Jean-Jacques Rousseau de Montmorency, récompensant, avec pour seul salaire le plaisir d'une modeste réception, l'autobiographie et l'autofiction. Nous avions dans un premier temps l'honneur d'être soutenu par la mairie de Montmorency, et nous remettions le prix au musée Rousseau, lors d'une réception aimablement organisée par l'ensemble des acteurs culturels de la ville. Puis, au détour d'un changement de majorité, nous fûmes tout simplement remerciés, voire menacés, comme si le nom de Rousseau était une marque de produit alimentaire. Au nom de je-ne-sais-quelle nécessité budgétaire ou priorité pour les habitants de la ville, on nous opposa des arguments qui ne souffraient aucune discussion et nous dûmes changer notre mode de fonctionnement. Loin de nous l'idée de nous plaindre et de geindre : le témoignage de cette attitude est autrement plus révélateur d'une sinistre réalité anti-culturelle. Le journal Le Parisien, rendait compte de cette polémique stérile dans un article du 15 mai 2015 qu'il sera aisé aux lecteurs de retrouver en ligne. 
Aujourd'hui, nous apprenons que le personnel du musée Rousseau de Montmorency est en souffrance ; celle-ci s'exprime dans une pétition, elle aussi disponible en ligne et qui totalise à ce jour près de 1400 signatures. La teneur du problème est simple : on veut fermer ce musée. Ou l'abandonner en le laissant mourir à petit feu. 
Cette honteuse cuisine, les membres du prix Rousseau la dénoncent. Il serait inconcevable, impensable qu'un tel lieu fût livré aux orties ! 
Par cette tribune, nous en appelons aux autorités compétentes afin qu'elles sacrifient, pour une fois, les fameuses et toujours pratiques « contraintes budgétaires » sur l'autel de la culture. Certes, Rousseau n'intéresse pas tout le monde. Certes, l'art et la littérature ne font pas toujours « vendre ». Mais comme il a été avancé au début de cet article, l'impératif catégorique de la conservation culturelle doit prévaloir. 

Notre culture est soumise aux assauts de l'obscurantisme, nous vivons en un temps où la floraison intellectuelle est envahie par les mauvaises herbes et où ne poussent guère les germes de l'espérance. 
Il serait temps de sortir de la caverne platonicienne et de briser les chaînes qui nous abaissent dans les ornières de la vulgarité et du mensonge. 
Sauver un lieu comme le musée Rousseau, ce n'est pas la fin de l'histoire, c'est simplement la lueur d'une aube éclairant le savoir. 
Le laisser dépérir, c'est en revanche le début de la honte. 


Romain ESTORC, co-président du prix

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